Quand j’étais petite, je voyais la journée du 8 Mars un peu comme la fête des Mères.
Comment aurais-je pu penser à autre chose dans cette société Béninoise qui est arrivée à convaincre les femmes que c’était une journée où elles devraient être louées pour leurs sacrifices?
En lisant ceci on pourrait croire que ce sont les femmes non scolarisées qui sont prises au piège. Ce qui n’est pas le cas.
Jusqu’à un passé récent, chaque 8 Mars, les gens se rassemblaient dans les ministères et autres structures de mon pays, s’habillaient de façon uniforme sous couvert de célébration de la femme.
Il était une fois, un 8 mars travesti
Au Bénin, nous avons déjà eu des gouvernements qui aimaient beaucoup altérer le sens de cette journée symbolique. Je devais avoir 8 ans quand j’ai accompagné ma mère et les autres femmes de son groupement politique à l’une de ces manifestations au Palais des Congrès sur invitation du Président de la République.
Je me rappelle du discours des autorités qui ont pris la parole. Aucun d’eux n’a parlé des filles et femmes béninoises qui sont violées en masse. Ils n’ont pas parlé des millions de cas de violence conjugales que subissent les femmes de notre pays. Aucun accent n’a été mis sur la déscolarisation des filles, sur les mutilations génitales féminines ni sur la précarité auxquelle notre systhème économique et la position des femmes les expose.
Ils ont tous rappelé combien être femme, être mère est une bénédiction surtout si tu es une femme qui a beaucoup donné de toi sans rien en retour.
Ils ont célébré la force et la bravoure de la femme rurale sans penser à faciliter sa vie en construisant les hopitaux ,les écoles , les routes, les structures d’alphabhétisation, les bibliothèques, les centres d’écoute et de soutien pour les femmes en situation de vulnérabilité, les centres de recherche pour fournir des études et des chiffres sur les violences, les coopératives agricoles et les points d’écoulement, voter des lois pour la protéger du lévirat qui est encore une réalité dans beaucoup de nos contrées. Pourtant ces femmes manquent cruellement de ces choses pour bien vivre.
Nous vivons quand même dans un pays où 69 % des femmes disent avoir subi des violences au moins une fois dans leur vie, où des filles continuent d’être mariées avant la majorité et/ou de manière forcée, d’être violées en toute impunité malgré l’existence des lois.
Un 8 Mars dont les femmes ont besoin
Quelques années plus tard, après ma rencontre avec le féminisme, j’ai commencé à m’interroger sur cette journée, ce qu’elle devrait représenter pour nous et la part des gouvernements africains dans ce contexte précis.
J’aurai pu décider d’écrire cet article en rappelant l’origine du 8 Mars mais je doute que ça puisse faire avancer mes droits et ceux des autres femmes. Mais, si la thématique vous intéresse vraiment, je vous propose de faire un tour ici.
J’ai discuté pendant de longues heures avec diverses filles et femmes sur le sujet et voici ce que je pense.
Le 8 Mars devrait être une journée officielle pour demander des comptes à nos gouvernements sur la situation des femmes dans nos pays. Nous devons également en faire une journée de réflexion pour voir ce qui marche et ce qui ne fonctionne pas dans les diverses stratégies pour les droits des femmes de nos Etats, organisations, mouvements.
Nous devons profiter de cette occasion pour interpeller les organisations, pays, entreprises et personnes qui ne respectent pas les droits des femmes ou qui sont un frein pour leur respect. Nous devons interroger nos problèmes, surtout ceux systémiques qui nourrissent des inégalités observées depuis toujours.
Nous devons créer des mouvements de femmes forts avec pour valeurs le soutien, la sororité, l’apprentissage, le leadership pour mieux revendiquer et prendre les décisions qu’il faut.
Nous devons aussi célébrer celles dont on ne parle jamais qui ont été des pionnières dans la lutte pour la libération des femmes surtout des femmes noires d’Afrique. Nous devons nous battre pour avoir une place partout où nous voulons.
Mon appel personnel
Je profite de ce texte pour rappeler à toutes les femmes qui l’ignorent encore que le 8 Mars est la Journée Internationale des Droits de la Femme et non une journée où il faut rafler les boutiques pour célébrer notre endurance dans la souffrance. Nous n’avons pas à nous laisser distraire par cette société patriarcale et capitaliste qui ne cherche qu’à nous embobiner avec des discours qui ne nous avancent point.
J’appelle les gouvernements des pays Africains à garantir des États sains et viables pour les femmes. Des Etats où ne règne plus l’impunité quand les femmes sont brimées.
Nous voulons le respect des divers accords signés et ratifiés à commencer par le Protocole de Maputo. Nous voulons des systèmes qui garantissent l’égalité et l’équité pour toutes en toute chose.
Personnellement, j’appelle le gouvernement béninois à prendre le décret d’application pour la loi N 2021-12 du 20 Décembre 2021 modifiant la loi N 2003- 04 du 03 Mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction.
Je nous souhaite de ne rien lâcher et de continuer à nous battre afin qu’un jour des générations de femmes n’aient plus à se battre pour réclamer leurs droits chaque 8 Mars. Que cette journée symbolique soit plutôt pour elles, un moment de souvenir et d’hommage à celles qui ont précédemment lutté pour impulser le changement.
Carine DANHOUAN : Directrice Girl Talk Francophone.