C’est dans les locaux de la Maison Ifé à Cotonou que s’est tenue le second Girl Talk du Bénin le samedi 03 septembre 2022 à 10h. En effet, des jeunes femmes se sont réunies afin de discuter d’un sujet malheureusement encore trop tabou dans nos contrées : les abus sexuels sur mineures.
C’est donc, en partie, dans le but de lever le voile sur ce fléau en se penchant sur le vécu des concernées que cette conversation a eu lieu. Le volet du processus de guérison était au centre même de ces riches échanges.
Comment se présentent les violences sexuelles sur mineures au Bénin? Comment sont-elles gérées et dans quelles mesures les survivantes arrivent elles à se reconstruire après? Voici les points forts de la discussion que nous partageons aujourd’hui avec vous.
Un aperçu des violences sexuelles sur mineures au Bénin : silence et injonctions
Jusqu’à très récemment, l’existence des violences sexuelles au Bénin était quasiment inconnue du grand public. Toutefois, avec l’évolution des réseaux sociaux, et le travail d’information que font les organisations non gouvernementales, les langues se délient timidement sur le sujet. L’une des participantes déclarait en effet à ce sujet que « Les abus sexuels sur mineures existent en quantité dans nos communautés. Entre 2020 et aujourd’hui de nombreux cas ont été recensés seulement dans la commune de Abomey-Calavi ».
Pourtant, selon nos participantes, le tabou pesant sur la sexualité dans les foyers béninois fait qu’il est difficile aux victimes de s’exprimer quand elles sont abusées : « Les discussions sur la sexualité sont tabous dans nos maisons. Les enfants ont alors parfois du mal à exprimer ce qui leur ai arrivé à cause de cela ».
Au-delà de ce tabou, il est souvent constaté qu’en cas de viol sur mineures, les familles ont tendance à cacher l’abus à cause de la religion, de la réputation ou encore de la stigmatisation que les victimes peuvent vivre. A cet effet, une participante dit « Quand la victime revient à la maison et essai de parler aux parents, ils préfèrent cacher l’abus à cause de plusieurs facteurs comme les critiques de la société, la religion ou les liens existants, familiaux ou amicaux entre eux et l’agresseur ». Une autre encore nous a confié : « J’ai une amie qui a subi un viol quand on était au collège. Quand je lui ai dit qu’il fallait qu’on en parle, elle m’a répondu que sa réputation était en jeu. »
Nous pouvons donc conclure que les victimes de viol dans l’enfance, subissent des traumatismes nouveaux causés par le manque d’intérêt qui leur ai porté par la société et le silence qui leur ai imposé.
Les conséquences des abus sexuelles sur mineures : un mal être constant
Les conséquences de ces violences sont multiples. Les victimes sont isolées et doivent faire face toutes seules aux difficultés que cette expérience traumatisante a sur elles. Ces conséquences perdurent même dans la vie adulte.
Au prime abord, les victimes développent un stress post traumatique qui peut les ramener dans l’état de panique dans lequel elles étaient quand l’abus a eu lieu : « Quand j’avais 7 ou 8 ans, un homme vivant dans la cour commune ou je vivais, m’a demandé de venir chez lui. J’y suis allée et je l’ai trouvé à moitié nu, le sexe à l’air. Il m’a demandé de venir pour qu’il me prenne. J’ai pris peur et je me suis enfui en courant. Je n’en ai pas parlé mais à chaque fois que je le voyais par la suite j’avais peur. Nous avons fini par déménager mais depuis ce moment à chaque fois que je passe dans ce quartier ou devant la rue de cette maison je panique. »
Elles vivent dans une peur constante et se sentent mal à l’aise dans le monde. Elles s’isolent et leurs personnalités changent du tout au tout : « J’avais neuf ans quand j’ai été abusée par un cousin. Depuis ce qui m’est arrivé je n’arrive plus à mettre une jupe parce que j’avais mis une jupe ce jour-là. Je me suis dit que si j’avais mis un jean et une ceinture il aurait difficilement pu y arriver. J’avais l’habitude de traîner avec des garçons, je jouais au foot avec eux. Après le viol, je paniquais quand je me retrouvais dans un milieu masculin. Je ne réagissais plus à l’école. Je suis devenue une enfant timide, réservée, je n’ai plus eu d’amis jusqu’au BAC. »
L’anxiété, la dépression, les pensées suicidaires, le dégoût et la haine de soi sont des maux qui les suivent, ce qui conduit parfois au suicide quand elles n’ont pas la possibilité d’être suivies par des professionnels : « Une victime de viol dans l’enfance peut avec le temps, surtout si elle n’a pas la possibilité d’en parler développer une haine de soi en culpabilisant pour ce qui lui est arriver. Le positif disparait petit à petit de sa vie et elle se construit une carapace ».
Dans cette situation comment arrivent-elles à se reconstruire?
Sur le chemin de la guérison : le petit guide des survivantes
Les participantes au Girl Talk sont unanimes sur le sujet : la guérison totale est impossible. Elles préfèrent parler de reconstruction ou de réadaptation : « Je préfère parler de reconstruction parce qu’on ne guérit jamais de ça. Et c’est un processus qui prend toute la vie ».
La première étape de cette reconstruction serait donc de sortir de l’environnement ou l’abus a eu lieu afin d’éviter de déclencher le souvenir douloureux qui y est lié. Il est important de développer une compassion pour soi, avoir de la patience et se laisser le temps d’aller mieux. Accepter ses hauts et ses bas, quoiqu’il arrive parce qu’on souffre et ne pas laisser le regard des autres nous affecter.
Les participantes ont évoqué également l’importance de la sexualité dans ce processus : « On oublie souvent l’importance de la guérison sexuelle dans le processus de reconstruction. Il est important de réapprendre à connaître son corps, à se donner du plaisir à soi-même et accepter qu’on ait le droit d’en recevoir. Aujourd’hui j’aborde ma sexualité avec enthousiasme et sérénité ».
En effet, « Se donner du plaisir à soi-même sexuellement est une étape importante dans le processus. On a tellement été abusée sexuellement qu’on ne veut plus se voir ou voir son sexe et c’est dégradant pour soi. C’est important d’apprendre à s’accepter et à aimer son corps ».
Les participantes ont évoqué l’aide qu’une communauté ou des espaces adéquats peuvent apporter aux victimes : « Avoir des gens avec qui on peut en parler est aussi bénéfique. Cheminer ensemble, s’entraider sur le processus de guérison permet de se sentir moins seule. » (…) « Il est important de travailler sur la communauté et la sororité afin de créer plus d’espaces ou on peut parler de ce genre de sujets. Nous en avons vraiment besoin ».
Pour finir, elles ont fait mention de solutions préventives telles que l’éducation sexuelle fiable et l’encouragement du dialogue parent-enfant sur la sexualité.
En définitive, ce Girl Talk a non seulement permis aux participantes de se livrer, mais de trouver une communauté de femmes avec qui échanger et discuter de ce sujet sensible.