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Chat With Her : Brian Sossou sur le harcèlement sexuel des filles et jeunes femmes

Dans l’espace Afrique Francophone, nous avons initié et créé cette année un groupe Facebook pour la continuité des conversations Girl Talk et pour connecter les mouvements féministes. Dans ce groupe, diverses conversations se passent dont Chat With Her. L’idée avec Chat With Her c’est d’aller à la rencontre d’une jeune femme, converser avec elle sur une thématique en chat dans le groupe. La première conversation Chat With Her s’est déroulée le 26 Juillet 2021 dans le groupe Facebook Girl Talk Afrique Francophone : Powering young feminist movement. Nous avons reçu Brian Sossou, communicatrice, activiste féministe béninoise, fondatrice de l’ONG Filles en Actions. Avec elle, nous avons discuté lors du chat live sur le thème : Victime de harcèlement sexuel, comment le savoir et que faire ? Lisez-plutôt. 

Pour toi, qu’est-ce que le harcèlement sexuel ? 

Le harcèlement sexuel, c’est ce processus par lequel une personne à plusieurs reprises harcèle une autre personne, exige des demandes sexuelles contre la volonté de l’autre. Le harcèlement sexuel fait en milieu professionnel fait appel à la hiérarchie, un certain déséquilibre des forces : le supérieur qui harcèle souvent, de façon répétitive. 

Tu as accepté cette conversation pour partager ton expérience avec nous sur un cas de harcèlement sexuel dont tu as été victime dans ton milieu de travail et que tu as dénoncé. Peux-tu nous décrire ce que tu as vécu ? 

Mon histoire remonte à plus de trois ans, j’ai vécu le harcèlement sexuel dans l’une des plus grandes structures représentatives de la Société Civile au Bénin et qui lutte farouchement contre toutes les formes de Harcèlement sexuel. Mon harceleur n’était rien d’autre que le Secrétaire Exécutif de ce Réseau d’ONGs dans lequel je travaillais. Il n’a cessé de m’adresser des demandes sexuelles, des demandes de sorties, des appels nocturnes. Quand j’ai dit Non à ses demandes sexuelles répétitives, toutes formes d’intimidations étaient au rendez-vous. Ça a commencé avec les propos sexistes, les propos qui rabaissent. Ensuite, des menaces, des insultes, du harcèlement moral, psychologique. Il a usé de moyens de pression sur moi : il a proposé en contrepartie de ses demandes sexuelles une promotion professionnelle. Quand cela rencontre mon refus, les menaces ont continué : renvoi, diminution de salaire, diminution de cahier de charge pour confronter à l’oisiveté, faire douter de vous-même, porter atteinte à l’estime personnelle, à la confiance en soi, porter atteinte à votre dignité en tant que personne humaine…

De nombreuses filles subissent des harcèlements dans divers contextes et ne savent même pas parfois qu’elles subissent cette forme de discrimination fondée sur le sexe. Quels sont les éléments qui t’ont permis de prendre conscience que tu vivais tu harcèlement sexuel ? 

Déjà, je suis une fille, je me cultive beaucoup sur tout ce qui est Violences fondées sur le sexe, Violences faites aux filles et aux femmes, harcèlement sexuel… j’étais informée et je savais quel comportement révèle du harcèlement ou pas. Le fait d’être cultivée et informée sur les actes de harcèlement sexuel, les manifestations possibles m’a permis quand je subissais ce harcèlement, de le savoir…le fait d’être aussi une activiste engagée, travaillant avec et pour les filles m’a permis d’être dans un processus constant de ne pas normaliser les violences. J’ai su que ces actes de la part de mon supérieur n’étaient pas normaux ni tolérables. Je me suis informée par des séances de sensibilisation, des formations et recherches en ligne, le militantisme pour les droits des filles et femmes. 

Que penses-tu que, de certaines opinions qui stipulent que les filles/femmes victimes de harcèlements sexuels ont cherché cela ou par leurs comportements ont pu provoquer cela ? 

Je suis contre toutes ces assertions qui soutiennent que c’est de la faute des victimes si elles sont harcelées. C’est un contraste. Dans ce que j’ai vécu, à moment donné, je me suis demandée : suis-je responsable ? Aurais-je pu dire, porter faire quelque chose pour le provoquer ? Je suis allée jusqu’à changer ma manière de m’habiller. Je portais des habits qui me couvraient jusqu’aux pieds. Des collègues m’ont remarqué et m’ont interpellé sur ce changement de look. Déjà je ne portais pas des tenues dites extravagantes pour aller au travail, je ne mettais pas de maquillage considéré par plus d’un comme des fragrances donc je ne sais pas comment j’aurais pu être la cause. Je venais travailler, je m’en tenais à mon travail. Malgré que je m’habillasse ainsi durant cette période, le harcèlement sexuel qu’on m’infligeait n’a pas cessé, cela devenait sévère. Cela devenait un poids. Je venais travailler non épanouie et j’abordais le fait d’aller au travail comme une contrainte. Rien ne justifie le harcèlement sexuel. La victime n’en est pas la cause

Peux-tu nous décrire le processus de dénonciation que tu as appliqué dans ton cas pour faire face à ce cas de harcèlement ?

Déjà j’en parlais depuis un an à des proches, des avocats, à d’autres leaders d’ONGs, des féministes, des collègues, des amis qui sont des forces de l’ordre. J’avoue que beaucoup parmi ces personnes m’ont soutenu dans le processus de la dénonciation. Quand j’ai voulu dénoncer, plusieurs fois je me suis rétractée. J’estimais que je n’avais pas de preuves palpables. Mêmes des personnes qui me soutenaient ont douté de moi puisque je ne dénonçait pas du coup. Je sais que dans notre contexte, la parole de la femme peut être fragilisée malgré c’est elle la victime. Alors j’ai commencé à rassembler de preuves : des enregistrements vocaux de ses propos sexistes, de ses demandes sexuelles, de nos affrontements physiques parfois, des vidéos en miniature des moments comme quand il se masturbait devant moi, des vidéos dans lesquelles ce dernier m’agressait à la limite…je les collectais et je me faisais suivre par un conseiller juridique. La semaine qui a procédée celle du 02 Mars 2021, durant cette période, j’étais indisposée mais je faisais mon possible pour venir au boulot pour fournir des résultats attendus de moi. Pendant cette période, malgré ma santé fragile, mon supérieur à quand-même continué. Trois fois de suite avec insistance. J’avais peur que cela ne se solde même pas un viol…je notifie même que si physiquement je ne me défendais pas, c’est que plusieurs fois j’aurais été violée par lui. Une fois je l’ai poussé, des coups dans le bas-ventre, il est tombé…

La semaine du 02 quand je suis arrivée au Boulot, il m’a dit : tu es insoumise, depuis trois ans j’essaye de t’avoir, tu es qui, sors de mes locaux, je ne veux plus te voir. Je suis allée m’asseoir pour rédiger ma lettre de dénonciation. Il est revenu encore de me demander de sortir des locaux. J’ai rédigé le courrier, j’ai envoyé à un huissier de Justice qui a assermenté puis déposé au siège social de l’ONG. Ensuite, j’ai appelé la Présidence de ce Réseau d’ONGs pour déposer le dossier en main propre à la Présidence. Le lendemain, j’ai envoyé un mail à toute l’administration, des collègues en copie : j’ai expliqué que je détenais des preuves que je n’avais pas peur de poursuivre toute l’ONG en justice. J’ai demandé la mise à pied de ce Secrétaire Exécutif car il représente un danger pour les filles et femmes de cette ONG. J’ai demandé qu’une enquête soit ouverte pour que toutes les filles et femmes travaillant dans cette ONG, ayant démissionné soient enquêtées. Puisque je savais que je n’étais pas seule et que les autres avaient peur de parler. Plus de 98% des jeunes femmes et femmes interrogées ont confié avoir déjà été victimes. Ils m’ont appelé, ont voulu me voir, mais je suis restée ferme et j’ai gardé ma position d’aller au tribunal si rien n’est fait. Je n’ai pas eu besoin de comparaître dans un tribunal car ils ont viré ce Monsieur. J’ai reçu des menaces, des représailles… mais j’ai tenu ferme. Et j’ai eu droit à un suivi psychologique. Aujourd’hui, si je veux encore, je peux comparaître et le faire enfermer.

Tu as dit que certaines filles avaient peur de parler. Pourquoi dans notre société, les filles, quand elles sont victimes de harcèlements sexuels, n’arrivent toujours pas à dénoncer ? 

Cela révèle de l’éducation reçue. Mes parents qui m’ont éduqué à porter ma voix, toujours m’exprimer devant des injustices. Je comprends les filles et femmes victimes de harcèlement qui gardent le silence. Pour avoir vécu cela, les pressions et menaces peuvent réduire au silence et maintenir dans le statut de subir. Je leur dirais qu’elles ne sont pas responsables de ces violences qu’elles subissent, les menaces viendront pour les fragiliser, faire taire, tant qu’elles peuvent, qu’elles savent qu’elles disent la vérité avec des preuves, qu’elles dénoncent. 

Comment les filles/femmes peuvent prendre l’espace, la parole et dénoncer les violences fondées sur le sexe ? 

Dénoncer les violences devrait être normalisé. La culture du silence est ancrée dans nos normes et nous devons commencer à déconstruire cela. Ce sont nos droits qui sont brimés. Nous comptons et notre épanouissement aussi. Nous ne devons plus valider ces violences : lever le ton et s’exprimer. Aucune forme de violence n’a d’excuse. 

Comment pouvons-nous construire une société sans violence fondée sur le sexe selon toi ? 

À travers des espaces de discussions. Les filles n’ont pas toujours des appuis pour les soutenir, des alliés qui comprennent à quel point les violences sont abominables. J’encourage des espaces entre filles où elles peuvent trouver du soutien, s’exprimer. Des espaces d’expressions sûres pour les filles sont des endroits pour se partager d’expériences, apprendre et avoir du soutien. 

Éducation : éduquer et sensibiliser les garçons. Nous travaillons beaucoup avec les filles mais il urge de commencer à travailler avec les garçons pour qu’ils comprennent que la culture dans laquelle la violence est normalisée pour filles est destructrice pour l’humanité ; soutenir et appuyer les organisations Féministes qui agissent contre les violences fondées sur le sexe ; promouvoir le dialogue parent-enfant sur les normes et rôles de genre. 

Aujourd’hui, tu publies sur tes plateformes en ligne, des messages pour dire NON et STOP aux harcèlements sexuels. Quels sont tes projets futurs dans ce sens ?

Avec des filles, quand j’ai commencé à subir ces harcèlements sexuels, nous avons commencé à discuter sur des solutions dans des espaces divers. Cela a conduit à la création d’une ONG exclusivement dédiée à la lutte contre les harcèlements sexuels. Être féministe, c’est déranger des normes qui nous embrigadent les filles et les garçons, les femmes et es hommes. Nous ne pouvons pas faire autrement. Le système d’oppression nous affecte et il n’y a pas de place pour le silence. Je libère la parole aujourd’hui sur mes réseaux sociaux. Mon ONG a pour priorité la lutte contre le harcèlement sexuel en milieu scolaire, universitaire et professionnel. Nous comptons libérer les Voix des filles pour la valorisation de leurs droits et libertés. 

Chanceline Mevowanou

Coordinatrice du GT Afrique Francophone